programmation:
Johann Puren
A
la suite de mon expérience de femme de ménage en usine, j'ai
réalisé à partir de cette vidéo, une installation interactive
nommé La Vita Activa, terme emprunté à Hannah Arendt pour
désigner les trois activités fondamentales de la condition humaine
que sont le travail, l'œuvre et l'action. Cette installation propose
au spectateur de se mettre au travail et de balayer l'espace
d'exposition maculé de faïence brisée afin d'entrer en interaction
avec la vidéo où je construis le château de cartes en porcelaine.
Le mouvement lent de balai ralentit le déroulement de la vidéo et
le mouvement rapide l'accélère, rendant cette action proche du
burlesque. Un mouvement sec renvoie sur des séquences en aléatoires,
de courtes séquences répétées d'instants précaires, à la limite
du déséquilibre ou des instants où le château de cartes
s'écroule. Par le biais de cette interactivité, le spectateur peut
ressentir la précarité et le côté aléatoire de cette
construction ainsi que la tension nerveuse accentuée par
le son grinçant de la porcelaine. L'interactivité lie ici le corps
au travail, un travail concret lié à la nécessité et le corps à
l'œuvre par la construction du château de cartes en porcelaine, qui
représente cette recherche de l'équilibre inhérente à la fois à
sculpture mais aussi à l'individu. L'outil et
l'action de travailler sont ici alors détournés de leur
fonctionnalité pour devenir jeu et œuvre propice à la performance
car le spectateur par la contrainte de la construction du château de
cartes s'approprie et réinvente le mouvement de balayage. Cette
construction précaire, plus qu'un simple jeu, exprime toute la
tension et l'anxiété véhiculées par un climat social ou la
précarité semble être généralisée. L'individu se trouve alors
oppressé par la pression du chômage, de la concurrence et des
exigences de rentabilité et d'efficacité toujours plus grandes.
Cette vidéo exprime alors cette brèche sensible et cet état de
fragilité psychique dans lequel est plongé l'individu. Les débris
de céramique blanche, dispersés sur le sol rappellent que même si
l'état de tension est maintenu dans la vidéo par la construction
laborieuse du château de cartes, l'éclat a eu lieu. Comme cette
assiette que l'on brise dans un éclat de nerf, c'est une
personnalité qui se retrouve fêlée, fracturée, dispersée, éclatée
en mille morceaux. Alors le spectateur à la fois ramasse les débris
et agit sur la construction, rappelant
ainsi cette conception de l'éternel recommencement propre au Mythe
de Sisyphe d'Albert Camus.
La marque de tout travail n'est-elle pas, comme le souligne Hannah
Arendt, « de ne rien laisser derrière soi, de voir le résultat de
l'effort presque aussitôt consommé que l'effort est dépensé »?
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